Consigne:
A partir des documents proposés, vous organiserez une synthèse qui pourra s'articuler par exemple autour de notions telles que visions de Londres, croissance urbaine, progrès et représentation de la diversité sociale.
Nous sommes en présence de trois documents: un dessin de Cruikshank de 1829;
un extrait de A Christmas Carol de Charles Dickens, publié en 1843, et un
texte de Roy Porter, tiré de son ouvrage, London, A Social History, 1994.
Londres, durant la première moitié du
19e siècle est observé par le dessinateur, le romancier et
l'historien. La nature diverse des trois documents et leur décalage dans le
temps nous amènent à nous interroger sur les convergences, mais aussi les
divergences qui s'en dégagent quant à la représentation de Londres.
Si, dans
un premier temps, nous adoptons une approche chronologique, Cruikshank dessine
une représentation complètement déshumanisée de Londres, une satire sans réserve
où il s'en prend à son développement effréné. La ville avance à l'attaque de la
campagne. Il s'agit, de fait, d'une véritable guerre menée à l'aide de
tranchées-fondations et de soldats-constructeurs. Le butin de la victoire du
progrès sera de plus en plus de logements, une foule de plus en plus
envahissante. En revanche, Dickens, puis Porter, introduisent une dimension plus
humaine. Le premier dresse une image du
petit peuple à l'occasion de Noël et le second, se demande comment, à l'époque,
on cherchait à lutter contre la pauvreté, la maladie et les problèmes
sanitaires, c'est-à-dire contre les maux engendrés par l'expansion urbaine.
Représentations des effets du progrès
Pour Cruikshank l'urbanisation et l'industrialisation ne constituent qu'une oeuvre de destruction. Dans cette caricature, par une sorte de siège à l'envers, c'est la campagne qui est investie et contrainte à battre en retraite sous une grêle de briques et de mortier. Des nouvelles rangées de maisons empiétent sur les champs et les vergers. Quant à Dickens, quatorze ans plus tard, il présente une image plus nuancée: la fête de Noël, l'abondance et l'atmosphère d'un White Christmas: "an air of cheerfulness abroad" (l.24); "committed hundreds of mistakes...in the best humour possible"(l.46); gayest faces"(l.53). On est, pour un moment, de retour dans la Merry England que Cruikshank semble regretter. Mais Dickens cherche rarement à idéaliser la réalité et ici elle est, en fin de compte, bien sombre: "the house fronts looked black enough and the windows blacker"(l.11); "sooty atoms" (l.20), et "innumerable people...emerged from scores of by-streets"(1.54). La fête et l'abondance n'effacent donc pas le mauvais temps, la pollution et les grouillements provenant des bas fonds de la ville. Porter, quant à lui, part de la ville dévoreuse d'hommes, regrettant, au passage, la beauté rurale d'antan, "green fields, waving trees and clear streams"(l.4) pour dénoncer le système des Work Houses et pour s'interroger sur les remèdes apportés aux problèmes posés. Ici, l'Etat est absent mais, la société civile, par le biais de réformateurs-pionniers comme Edwin Chadwick, commence à s'en prendre à la maladie, voie privilégiée, à leurs yeux, pour combattre la pauvreté.
La mise en relation
Confronté à un dossier où l'on trouve aussi bien texte qu'image on est
généralement amené à faire un choix initial dans l'étude des relations entre
l'un ou l'autre: accorder la priorité au texte ou privilégier l'image. Dans le
premier cas, on estime que le texte donne le thème du
dossier. L'on peut se servir de l'image pour dégager les ressemblances, les
différences et les déplacements que provoquent les passages entre texte et
regard. Dans le second cas il s'agit d'étudier le texte dans l'image et l'image
dans le texte, autrement dit d'établir les relations intrinsèques entre les
deux. De nouveau, tout en respectant le nécessaire va-et-vient entre les trois
documents (iconographique, civilisationniste et littéraire) il faudrait tenir
compte, dans un premier temps, du
caractère propre de l'un et de l'autre.
Dans le dossier que nous avons à
traiter, le thème du
progrès, qui sous-tend la représentation de la réalité, peut être privilégié
ici. Dans le document de 1829 le progrès est dévastateur. Dans celui de 1843 il
commence à produire des effets positifs: des fruits importés de France (l.38) et
des produits exotiques en provenance des pays tropicaux de l'Empire (ll.32-35).
Mais le prix à payer reste élevé: la noire fumée de cheminées, si présente dans
le dessin de Cruikshank, se retrouve chez Dickens: "as if all the chimneys in
Great Britain had caught fire" (ll.20-21). Le résultat direct de la pollution
est la maladie et Porter souligne ses effets sur la pauvreté et l'emploi (l.7 et
l.42). Il va jusqu'à souligner combien les maux de l'époque risquaient de mener
à l'effondrement de l'ordre social (l.19).
D'autres pistes peuvent être explorées pour d'éventuelles mises en
relation:
-l'accumulation: celle de la force de la machine folle chez
Cruikshank, celle de l'abondance
chez Dickens et celle des problèmes sociaux chez Porter
-la réalité:
l'approche satirique, réaliste/poétique et historique
-l'aliénation de
l'homme: les différents modes de représentation de cette aliénation.
Interprétation
Tout en respectant la nature de l'épreuve, il s'agit d'une synthèse de
plusieurs documents, on peut prendre, comme point de départ, différentes
approches pour parvenir à une démonstration dynamique de l'argumentation. Voici
quelques exemples:
-la stratégie de Dickens pour représenter le Londres du
milieu du
19e siècle: au lieu de commenter la réalité il a recours à la poésie, aux
oppositions, à l'implicite, au mythe et à la symbolique pour mieux faire saisir
cette réalité.
-la ville comme métaphore de la condition humaine
-la
ville comme exemple du
libéralisme ou du
laissez-faire pendant la première moitié du
19e siècle
-le dessin de Cruikshank, en s'appuyant sur les méthodes de la
recherche iconographique et de la sémiologie visuelle, pour partir
des analogies formelles, des ressemblances, des différences entre la structure
et le signifiant des récits et celle de l'iconographie
-la ville comme
métaphore pour les débuts du
capitalisme industriel
La présence implicite de la foule et les dangers qu'elle représente constituent aussi une piste féconde en possibilités pour parvenir à une synthèse. La marche forcée de la ville chez Cruikshank n'est autre que l'avancée de la horde vers la conquête de plus en plus d'espace. Cette vision, bien que quelque peu atténuée dans A Christmas Carol, continue, néanmoins, à représenter une menace. Une fois les "good people" (l.51) rendue à l'église, la foule commence à faire surface, "there emerged from scores of bye-streets, lanes and nameless turnings innumerable people" (l.55). Et c'est la pauvreté et la maladie qui, aux yeux de Porter, continuent, dans les années 1850, à faire trembler les fondations de la société.
Autres pistes possibles de lecture
- la grande peur, voire la terreur, que les masses anonymes provoquaient
parmi les classes possédantes
-un dossier qui converge sur le mode ironique:
grande bouffe de Noël/l'agitation de clients qui se trompent/épiceries
fermées,
convergence entre Dickens et Cruikshank? la ville
déshumanisée/l'abondance
déshumanisée
-progrès construit comme négatif
Intégration au méta-barème
Niveau I What?
-compréhension minimale du
contenu des trois documents
-prise en compte de l'ensemble du
dossier
-Londres-croissance urbaine et ses effets-première moitié du
19e siècle-visions de Londres
Niveau II How? dynamisation
-progrès déshumanisant/bienfaisant
-les
honnêtes gens/les autres
-euphorie/dépression
-divergence de l'un à
l'autre
-accumulation/pauvrété...
Niveau III What for? interprétation
-piste chronologique et retour au
Paradis Perdu
-stratégie d'ironie
-convergences dans attitudes
noires
-menace de la foule